Blockchain and the law : interview de Primavera de Filippi

Primavera interview blog

Primavera De Filippi est chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Paris.

Primavera travaille depuis de nombreuses années sur les défis juridiques et les opportunités des technologies décentralisées en ligne, avec un point particulier sur les réseaux peer-to-peer, les technologies de réseau maillé et, plus récemment, la technologie blockchain.

Primavera De Filippi et Aaron Wright publient « Blockchain and the law ». Ils reconnaissent le potentiel de la blockchain et exhortent la loi à rattraper son retard. La désintermédiation, le plus grand atout d’une blockchain, bouleverse une règlementation critique. En supprimant les intermédiaires, tels que les grands opérateurs en ligne et les multinationales, les blockchains risquent de compromettre la capacité des autorités gouvernementales à superviser les activités bancaires, commerciales, juridiques et autres domaines vitaux. Primavera De Filippi et Aaron Wright arpentent les nouvelles possibilités inhérentes aux blockchains. Mais leur livre « Blockchain and the law » le montre clairement, la technologie ne peut être exploitée de manière productive sans de nouvelles règles et de nouvelles approches de la pensée juridique.

Nous avons l’honneur de vous partager notre échange avec Primavera De Filippi au sujet de son livre Blockchain and the law.

U Change :

Vous avez plusieurs années de recul sur l’impact de la Blockchain sur la désintermédiation de certains secteurs, constatez-vous de réels changements ?

Primavera De Filippi :

Nous sommes encore aux premiers abords de cette technologie. Au-delà du Bitcoin et des autres crypto-monnaies, nous en sommes encore à la phase d’expérimentation. Il y a de plus en plus d’applications qui se développent, visant à désintermédier certains des services existants, notamment dans le secteur financier, mais aussi dans les secteurs de la certification, de la notarisation, ou encore de l’Internet des objets. Cependant, ces applications prennent souvent la forme de ‘proof-of-concept’, très peu ont été jusqu’à présent déployées (ou adoptées) à grande échelle.

U :

Les régulateurs ont pris leur temps avant de se pencher réellement sur le sujet « Blockchain ». S’intéressent-ils aujourd’hui uniquement à la régulation des flux financiers ou plus largement à l’impact de la Blockchain sur tous les secteurs régulés ?

P d F :

Les régulateurs sont censés réguler les usages, et non pas la technologie. Ainsi, ils se penchent sur les cas d’usages qui commencent à avoir un réel impact sur l’économie et la société dans son ensemble. C’est le cas sur des cryptomonnaies telles que Bitcoin, mais aussi des nouvelles formes de financement participatif par la vente de cryptomonnaies rattachées à une application spécifique—ce qu’on appelle les Initial Coins Offering (ICO) en anglais.

U :

Comment les régulateurs pourraient-ils couper la frénésie médiatique pour s’assurer qu’ils ne considèrent pas toutes les cryptomonnaies comme un risque élevé sans comprendre les nuances d’une crypto particulière ? Comment pouvons-nous éduquer le public sur ce sujet ?

P d F :

Il s’agit tout d’abord de distinguer les cryptomonnaies qui permettent d’assurer le fonctionnement d’une blockchain (c’est le cas notamment de Bitcoin et d’Ethereum) et les cryptomonnaies —ou ‘tokens’—qui sont créés au-dessus d’une blockchain existante et qui ne servent pas au fonctionnement même de la blockchain sur laquelle ils ont été créés, mais représentent simplement un moyen d’accéder à certain services ou d’interagir avec une application donnée. Alors que les premières sont une composante fondamentale de toute blockchain publique, la deuxième catégorie a une utilité beaucoup plus ambigüe. Actuellement, les risques portent essentiellement sur cette deuxième catégorie, dès lors que les porteurs de projets émettent des tokens et les vendent au public sans aucune garantie de contrepartie. Le public achètent ces tokens dans une perspective souvent spéculative, et il est donc important pour les régulateurs d’informer et d’éduquer les investisseurs sur les risques comportés par cette nouvelle typologie d’investissements.

U :

Vous parlez de la façon dont l’utilisation de systèmes de paiement électroniques (comme les blockchains qui transfèrent de la valeur) peut accroître un nouvel état de surveillance grâce aux informations précieuses recueillies par un gouvernement à partir de renseignements financiers.

Ce point n’est-il pas contradictoire puisque la blockchain est destinée à nous permettre de rompre avec la régulation et la supervision centralisée, et pourtant les blockchains publiques peuvent faciliter ces 2 points ?

P d F :

Une blockchain publique est une base de données décentralisée et transparente : toutes les transactions sont visibles par tous les membres du réseau, qui participent tous à la vérification et à la validation de ces transactions. Bien qu’il n’y ait pas d’intermédiaire de confiance qui autorise les transactions, la transparence du réseau est telle que tout le monde peut avoir accès à l’historique de toutes les transactions (c’est la seule façon de garantir la légitimité des transactions). Ainsi, il ne s’agit pas de surveillance dans le sens traditionnel du terme, mais plutôt d’une capacité à recueillir toutes les informations concernant certaines transactions. Évidemment, les blockchains publiques sont pseudonymes, donc il est difficile de savoir qui sont les acteurs qui se cachent derrière ces transactions. Mais dès lors qu’un gouvernement arriverait à associer une identité aux comptes qui reçoivent ou émettent ces transactions (en les obligeant à s’identifier auprès de certains intermédiaires notamment), il devient alors possible de récupérer l’historique de toutes les transactions liées à ces individus.

 

Blockchain and the Law: The Rule of Code, by Primavera De Filippi (Author), Professor Aaron Wright (Author).

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