Ne jetez pas la blockchain avec l’ICO du bain

Le public découvre la « Blockchain » avec l’engouement médiatique suscité par la spéculation autour du Bitcoin et des nouveaux types de levées de fonds en crypto-monnaies, les ICO. La correction attendue du cours du Bitcoin peut-elle impacter la Blockchain dans son ensemble ?

Printemps 2017 les « initiés » de la finance découvrent avec émerveillement les ICO. ICO comme Initial coin offering, soit l’appel – encore libre – à l’épargne en crypto-monnaies et non en monnaie réelle comme l’IPO – introduction en bourse en français – réglementée partout dans le Monde.

Avec des levées record en quelques heures – ou quelques minutes pour certains projets, la nouvelle se répand comme une trainée de poudre. Nombreux sont ceux prêts à inventer n’importe quel projet pour justifier leur ICO. Les experts fleurissent et l’argent facile fait tourner les têtes. La machine s’emballe. Le Bitcoin, qui valait environ 3 000 € en septembre atteint les 16 000 € courant décembre.

L’ICO, la crypto baguette magique ?

Les projets ambitieux nécessitent souvent une levée de fonds pour financier un besoin de croissance rapide, c’est indéniable. Certains des projets faisant appel à la crypto-épargne sont tout simplement extraordinaires dans leur capacité de disruption et méritent amplement l’engouement qu’ils ont suscité. Parallèlement, l’accès aux fonds d’investissements classiques est souvent compliqué. Car ces derniers imposent des règles terriblement contraignantes ; en termes de rentabilité court terme et de taux de croissance, de gouvernance, de typologie de secteurs jugés porteurs. Des contraintes rarement compatibles avec beaucoup des projets ayant utilisé les mécanismes d’ICO.

L’ICO est donc indéniablement un véhicule au potentiel immense pour certaines catégories de projets. Mais cela ne veut pas dire, une fois encore, qu’il est justifiable d’inventer à tout prix un projet afin de pouvoir bénéficier de la manne des ICO.

Et voilà le hic. Projets mal ficelés, effet d’aubaine, modèles déformés pour entrer au forceps dans des process pourtant très particuliers. Les déceptions arrivent et se multiplient. Premiers soubresauts. Certains pensent qu’ils ont assez gagné en quelques mois. Premières corrections. Ces dernières semaines, le cours du Bitcoin ou de l’Ether subissent des variations considérables – et se maintiennent cependant à des niveaux très élevés si l’on revient deux ans en arrière (x 60 environ !)

L’ICO est aujourd’hui au somment du « hype ». Pour s’en persuader, il suffit de se renseigner sur les coûts astronomiques que proposent les auto-proclamés « experts » pour accompagner une telle ICO… Une aubaine donc, pour certains au moins.

Cette manne va naturellement se tarir, puis sera certainement régulée au niveau français et international. Petit à petit, seuls ceux pour qui l’ICO se justifie réellement y feront appel. Mais comme toujours pour les phénomènes innovants, après la phase de grande curiosité, vient une phase de rejet. Et quand la spéculation est telle, le risque d’amplification du rejet risque d’être terrible pour les cours des crypto-monnaies.

A 10 ans, la Blockchain mérite-t-elle une bonne correction ?

Je ne m’intéresse pas particulièrement aux ICO (en tout cas ni en tant qu’investisseur ni en tant que conseil). Je n’investis pas non plus dans les crypto-monnaies. Et si mes rares bitcoins valent près de 100 fois plus que lorsque je les ai achetés (de quoi perdre la tête je le concède), cela n’a jamais impacté les motifs de mon très grand intérêt pour la Blockchain : son potentiel à modifier profondément des fondamentaux économiques de notre Monde. Sa capacité à faire émerger des modèles ; modèles relationnels, d’affaires, de décision, peu importe. En redistribuant la place des tiers gestionnaires de rentes historiques, en lézardant les remparts qui les protègent. En offrant la possibilité à tout codeur de talent (et bien accompagné) de concevoir des alternatives « sans tiers de confiance ». Rapellons le credo des fondateurs de Ethereum présenté lors de la seconde conférence utilisateurs en 2016 : « world is computer » ie il devient possible de programmer « le monde » comme on programmait son ordinateur.

Je m’intéresse donc depuis bientôt 3 ans au « token » : le « jeton » numérique que les blockchains permettent d’échanger. Pour sa capacité à transporter à peu près tout type de transaction autre que financière et spéculative. Pour sa capacité à porter donc tout nouveau modèle ; gérer la réputation d’une communauté humaine, permettre la traçabilité de la production d’énergie renouvelable ou de matières premières agricoles responsables, repenser le modèle du notariat ou celui de l’assurance, repenser les processus de vote ou de décision à l’ère numérique.

Voilà des sujets qui me passionnent.

Des sujets sur lesquels il n’est nul besoin de spéculer – enfin si, bien sûr, mais pas dans l’acception financière du terme. Mais des sujets qui peuvent transformer en profondeur la façon dont nos sociétés, dans tous les sens du terme, s’organisent. Au profit long terme du plus grand nombre. Et non pour le bénéfice potentiel immédiat des spéculateurs.

Mais où est le problème ? Est-il besoin d’opposer ces deux conceptions ?

Fondamentalement non. Sauf que l’on connaît les réaction « naturelles » des gens. Et des décideurs en particulier. Si rien n’est fait, un jour, plus ou moins proche. Un accident – ou plusieurs – vont se produire autour d’ICOs tellement mal ficelées que le public va se sentir floué et va manifester sa désapprobation. Entraînant un « krach » de plus dans notre monde économique. Un krach qui ne changera rien à la valeur intrinsèque d’un token. C’est évident.

Mais on connaît l’histoire. Plus que jamais les crypto-monnaies vont sentir le soufre. Aussi vite qu’elles ont suscité la passion, elles vont être pointées du doigt. Diabolisées.

Ringardes les cryptos ! Et par rebond, nauséabonde, la Blockchain ? Évidemment ! Vous imaginez un dirigeant d’entreprise annoncer le soutien ambitieux à projet Blockchain alors que quelques semaines plus tôt le Bitcoin s’effondrait ? Pas bon. Pas bon du tout pour l’image de l’entreprise.

Décideurs et amis de la « communauté » Blockchain de ces 3 dernières années qui avez la capacité à choisir en conscience de soutenir des projets que vous savez mal ficelés, ou peu porteurs de valeurs (avec un S), juste pour profiter de l’aubaine, ne serait-il pas souhaitable de réfléchir à notre responsabilité collective ? Et si ce projet-là était justement la goutte d’eau qui fait déborder l’ICO du vase ?

Et si juste derrière, on jetait la Blockchain avec l’ICO du bain ? L’intérêt collectif long terme de la Blockchain ne mérite-t-il pas que l’on fasse passer au second plan le bénéfice individuel court-terme garanti par un projet que l’on sait bancal ?

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